14 février - Valentine's Day...

Estrec soupira et se décida enfin à attacher sa lettre - 78e du nom - à la patte du hibou qui s'impatientait. Sur le rouleau, on pouvait lire deux mots, un nom qui était devenu tout un symbole aux yeux de l'albinos : "Betty Holls"

Il se dirigea vers la fenêtre et lança le hibou, sans attendre de changer d'avis ou de se dégonfler. L'oiseau ne s'éloigna pas vraiment, mais contourna le bâtiment, longeant les murs.

Direction, la Cave des Poufsouffles.

Le coeur d'Estrec commençait à pulser avec force.

Un jour comme les autres, ou presque. Betty était assise sur son lit, les autres filles du dortoir papotant entres elles et elle souriant à quelque unes pour leurs remarques et acquiescant quand l’une d’entre elles lui montrait quelque chose, un sort qu’elle réussissait ou bien le énième cadeau qu’elle recevait d’elle ne savait qui. Soudain, sortant de nulle part, car pas de cheminée dans le dortoir, un hibou entra dans la pièce, faisant ainsi peur à quelques filles car rasant leurs têtes. Même Betty sursauta sur son lit, en voyant le volatile foncer un peu partout et…. dans sa direction ?
Elle se recula un peu, glissant sur son lit. Peut-être qu’il n’allait faire que passer ? Puisqu’il y avait d’autres filles sur des lits plus loin. Mais non. Il s’arrêta devant elle, se posant dans une pluie fine de duvets que Betty chassa en remuant la main de gauche à droite. Qu’est-ce que lui voulait ce hibou ? Elle n’attendait rien, pourtant.

*Tiens…c‘est quoi…*

Une petite enveloppe était accrochée à la patte du rapace. Betty le décrocha donc avec délicatesse, elle avait toujours peur de faire mal, en tirant sur la ficelle. Elle remercia le hibou en lui donnant… un bout de muffin, tiens, qu’elle avait descendu de la grande salle, comme d’habitude. Une fois le hibou rassasié et envolé accompagné par de nouveaux cris de ses camarades, Betty déplia la petite enveloppe.
Elle dû relire à plusieurs reprises le petit mot qui y était inscrit, signé d’un prénom qu’elle connaissait bien, ses joues s’empourprant, se dés empourprant bref changeant souvent de couleurs, sous les regards amusés de ses camarades, riant aussi, de dortoir qui commençaient à murmurer entre elles des mots que Betty n’entendaient pas. Elle laissa en plan le livre qu’elle était en train de lire et s’en porter attention aux filles, elle sortit du dortoir.

*Peut-être qu’il est encore à la volière…*

Elle se voyait mal aller toquer à la porte du dortoir des garçons et puis chercher dans le château, c’était impossible, il était si grand… Bon, tentons la volière.
Marches après marches, petit mot serré dans une de ses mains, Betty arriva un peu essoufflée devant la porte de la volière qui était ouverte, entra et vit une silhouette dans l’encadrement d’une des fenêtres. Le contre jour, la lumière du soleil caché de temps en temps par des nuages, donnait en plein dans la pièce et Betty fut légèrement aveuglée.

- Estrec, c‘est toi ?…

*Pourvu que ce soit lui. *

Elle se voyait mal là aussi, repartir à sa recherche. Cela pouvait durer jusqu'au moment du repas et tout ce qu'elle avait en elle à cet instant pouvait disparaître, trop vite.
Elle s’avança alors dans la volière, main en visière tenant le petit mot dans cette main, jusqu’à trouver un point d’ombre. Essoufflée, elle trouva à s’adosser contre le mur et baissa sa main, les pommettes colorées, regard posé sur la silhouette et attendit. Fallait qu’elle reprenne son souffle et aussi, ses esprits, avant de dire quoi que ce soit.

Estrec avait suivi du regard l'oiseau, autant que possible, jusqu'à ce qu'il disparaisse à un angle de mur. Le soleil matinal l'inondait de sa lumière blanche, mais il n'y prêtait guère attention. Après s'être battu des heures avec lui-même, après avoir longtemps hésité, il avait enfin décidé d'envoyer ces quelques mots... et à présent, il regrettait presque. Tant de "Et si..." résonnaient dans sa tête. Il avait vraiment peur, peur de tout perdre, peur de la perdre.

S'apercevant soudain qu'il était penché dans le vide, il se jeta à l'intérieur. Sa tête lui tournait et il avait l'impression que son cœur tentait de sortir par sa gorge. Il se tassa dans l'ombre, tout contre la pierre froide et tenta de se calmer. Il était trop tard, ce qui était fait était fait, il ne pourrait rien changer à cela.

Soudain, des bruits de pas précipités dans l'escalier, un bruit de petits pieds pressés, qui montaient. Et une petite voix cristalline :

- Estrec, c‘est toi ?

La jeune fille rejoignit l'ombre, elle aussi, à l'opposé de lui. Estrec se rengorgea discrètement, l'estomac noué.

- Oui, c'est moi...

Ils étaient à plusieurs mètres l'un de l'autre, chacun dans une flaque d'ombre, attendant on ne sait quoi.

Estrec ne bougeait plus, ne pensait plus, ne respirait plus. Il attendait. Il écoutait.

- Je… je viens de recevoir ta lettre et c’est… très joli…

Estrec entrouvrit la bouche. Il voulait répondre... mais répondre quoi ?

Betty s'avança, traversa la volière. Soudain, elle était tout près. Elle avait posé sa main sur son épaules, puis ses lèvres, si douces, sur sa joue.

Estrec resta paralysé. Cet instant, cette seconde, sembla s'étirer à l'infini, un infini dans lequel il était absorbé tout entier, aspiré pour ne jamais revenir.

Et pourtant il retrouva le sol. Par instinct plus que par réelle audace, il leva les bras et les referma autour de la taille de Betty. Se penchant un peu, il la ramena contre lui. Yeux clos, son visage se noyait dans les longs cheveux sombres...

Betty avait réussi à se rapprocher d’Estrec après avoir effectué quelques pas hésitants dans sa direction. Sa main était même en train d’écraser la lettre de celui-ci, ces jolis petits mots qui l’avaient fait courir jusqu’ici. Elle avait aussi osé un bisou sur la joue du jeune garçon, pour lui montrer à quel point elle avait été émue par ces quelques mots qui avaient atteint les portes de son cœur.

Ensuite, laissant sa main sur son épaule elle s’était un peu reculée, un peu gênée par son geste qui pourtant naturel, mais il y avait autre chose aussi dans ce geste. C’était ces mots qui dansaient encore devant ses yeux. Betty leva alors son visage vers Estrec, mais n’eu pas le temps d’apercevoir quoi que ce soit sur cette jolie face aux yeux rubis. Il venait de poser ses mains sur sa taille, l’attirant contre lui. Elle senti son souffle tiède dans son cou. Étrange mais agréable sensation. Betty posa alors son front contre l’épaule d’Estrec en faisant glisser sa main, un peu sur le côté de l‘épaule. Un silence qui sembla durer une éternité les enveloppa, jusqu’à ce que dans un murmure, Betty fit entendre sa petite voix.

- J’adore beaucoup ce que tu viens d’écrire… Ça me touche énormément… Et dire que moi, je n’ai rien fait… Je… je me sens un peu gênée, du coup…

Elle laissa son front encore quelques instants, collé sur l’épaule d’Estrec, ne voulant pas montrer ses joues rougies par ces nouveaux sentiments qui l’envahissaient.

La voix de Betty le touchait, l'emplissait, vibrait le long de ses os, frémissait sous sa peau. Il avait l'impression d'être enveloppé de coton, de soie, de velours ; tout était tiédeur, chaleur, douceur, tendresse...

Il resserra la prise qu'il avait à la taille de Betty.

- Tu représentes tellement pour moi... souffla-t-il, yeux clos, comme s'il écrivait encore. Toi... Je... Je crois... Je suis...

Il bégayait au ralenti, au rythme de sa respiration, mais parvint tout de même à conclure, à peine plus fort :

- Je t'aime...

Betty n’avait pas bougé son front de sur l’épaule d’Estrec, depuis qu’elle lui avait murmuré qu’elle avait adoré son petit mot. Après sa grande course jusqu’ici, les battements de son cœur reprenaient doucement un rythme normal, ainsi que son souffle et depuis un petit silence s’était installé, il ne lui semblait entendre que le chant du vent qui passait dans les grandes ouvertures de la volière et aussi le souffle d’Estrec dans son cou. Betty frissonna un peu quand il resserra ses mains sur sa taille, en écrasant un peu plus le petit mot qu’elle tenait dans sa main.
Puis la timide voix d’Estrec, aussi réservée que la sienne lui parvint doucement, un écho qui résonnait étrangement en elle. Betty sourit doucement.

- Estrec…

Elle laissa un petit blanc, petit espace hésitant, des images revinrent. Les rougeurs aux joues d‘Estrec... quand leurs regards se croisaient... ses petits rubis qui la "fuyait" de temps en temps… cette difficulté qu’il avait pour s’adresser à elle...
Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps, c'est vrai, mais ce peu de temps avait suffit pour tisser un lien entre eux. Elle ajouta alors aussi bas que l'avait fait Estrec.

- Je… Je t’aime aussi… Estrec…

Betty laissa son front collé sur l’épaule d’Estrec et la main, qui pendait le long de son corps avec le petit mot qu’elle écrasait à l’intérieur de sa paume, vint se poser dans le dos d’Estrec, l’autre toujours sur l’épaule, avec son front.